samedi 23 octobre 2010

chapitre 3 page 13

III

Allons faire les courses en famille



En cette fin de matinée d’été chaude et humide, ils se rendaient au supermarché pour faire les courses destinées à les sous-alimenter une bonne semaine. Sa mère n’allait encore prendre que le strict nécessaire pour les jumeaux couchés dans un panier sur ce qui faisait office de banquette arrière au pick-up. Faire les courses, consistait essentiellement à faire le plein de toute boisson dont l’étiquette signifiait bien la mention alcool avec si possible des slogans du genre « dont l’abus est dangereux pour votre santé ».
Ce jour là, il avait pris sa décision. Il y avait pensé toute la nuit. Faut dire qu’avec la tannée qu’il avait pris la veille, le sommeil avait été long à trouver.
Sauver au moins les deux bambins et lui-même en sautant du véhicule dès qu’il ralentirait suffisamment pour que les « frangins » ne puissent être blessés. Pour sa mère et les jumeaux, le garçon avait tout mis en place : fuir, rester à proximité de la « ferme » et intervenir quand le « Barbare » serait endormi du sommeil du juste ivrogne. Après ? S’enfuir le plus loin possible de cet endroit maudit. Même s’il lui fallait pour ça traîner sa mère par les pieds.
 A cet effet, il avait déjà dérobé le double des clés de la camionnette et ne doutait pas un seul instant de parvenir à conduire ce véhicule si l’habituel conducteur y arrivait dans l’état d’ébriété constante où il se trouvait.
D’un seul coup l’adolescent sentit monter une forte nausée puis une boule dans la gorge qu’il ne connaissait que trop bien. Quelque chose allait se passer, c’était imminent. La dernière fois qu’il avait connu de sensations d’une telle ampleur, c’était il y a environ trois ans avec sa tante Louise, c’était du moins comme ça que sa mère l’appelait.
Tante Louise commençait à escalader ce qui allait se révéler son dernier escabeau alors qu’il jouait à l’étage. Dans son tailleur élégant, provenant directement des derniers défilés parisiens, sa chère tante Louise, une ampoule à la main, glissa sur l’avant dernière marche et chuta lourdement sur le somptueux carrelage en marbre de carrare. Si elle eut le réflexe de lever le bras, gardant ainsi l’ampoule intacte, elle ne sut jamais que son ampoule allait finir classée dans un sachet plastique comme pièce à conviction, remisée dans les archives de la police. Il garderait toujours en mémoire ce contraste saisissant entre le sang qui s’échappait de son cuir chevelu et le blanc immaculé du sol lorsqu’il la découvrit. Mais là, à cet instant cela n’avait rien de comparable. Durant un instant, le garçon cru bien qu’il allait tomber dans les pommes.
Il tentait à cet instant de surmonter sa nausée et de se redresser comme il le pouvait alors que la voiture freinait pour amorcer son virage d’entrée sur la bretelle d’autoroute. Il fut à cet instant repris de terribles vertiges et faillit passer par-dessus le rebord de la plate forme du pick-up tant son corps était secoué de spasmes nerveux. Sa vue se brouilla un dixième de seconde. Les yeux révulsés, l’adolescent eut une vision distincte. Un énorme monstre bleu et argent, brillant de mille feux, fonçant à la vitesse d’une comète dans sa course folle. La boule de feu jaillissant de la gueule béante du monstre engloutissait tout ce qui présentait à elle, hommes-pantins et objets roulants en tout genres. Le tout, dans un vacarme sonore digne de l’apocalypse.
Le garçon retrouvant une partie de sa vue par au prix d’un douloureux effort, sentit toute l’urgence de la situation. Même si ces images sorties tout droit de sa tête ressemblaient fort aux BD de mangas japonais qu’il affectionnait de lire avant leur installation chez « soûlard le barbare ». Ces images lui intimèrent de passer à l’action malgré une « forte migraine ». ah, ah ! Il ne voyait encore que d’un œil, et encore tout flou avec une magnifique couleur sépia.
Il fit l’effort de se redresser et tendit sa main qu’il savait tremblante sous l’effet de son mal de crâne en direction des enfants qui le regardaient inquiets. Il leur enjoignit fermement de le rejoindre, ramassa deux vieilles couvertures qu’il leur tendit en leur enjoignant de bien les garder en boule devant eux et leur dit de se tenir prêt. Les deux bambins obtempérèrent sans piper mot en constatant le ton caverneux de sa voix, la blancheur de son visage et son regard vitreux.
Alors que le pick-up s’arrêtait au stop pour traverser la route et s’engager sur la bretelle d’autoroute, le jeune garçon su que le moment de changer leurs destins était venu. Il empoigna les enfants comme il le pouvait passant ses bras sous leurs aisselles, leur répétât de bien maintenir leur couverture devant leur visage et avec une force étonnante pour son age, les souleva par les aisselles et sauta de la voiture.
Sa chute se passa pour lui comme au ralenti. Alors qu’ils étaient encore en l’air, il croisa le regard de sa mère dans le rétroviseur. Il lui sembla à la fois doux et plein d’encouragements. Mais surtout il avait tout d’un regard d’adieu. La réalité repris vite ses droits quant ils s’écrasèrent tous trois dans l’herbe du bas côté de la route. Après un long roulé-boulé, ils s’arrêtèrent enfin en bas d’un talus. L’adolescent s’assura que les deux petits n’avaient rien et après avoir repris son souffle, leva la tête vers la camionnette qui entrait sur l’autoroute.
C’est en regardant sa mère s’éloigner qu’il aperçu du coin de l’œil, un fantasmagorique semi-remorque bleu aux par choc et calandre chromés brillant sous le feu du soleil apparaître au loin sur l’une des voies inverses. L’inquiétude le submergea instantanément.

Ils descendirent la bretelle d’autoroute et partirent à contre sens en avançant aussi vite que le permettait les petites jambes des « frangins ». L’adolescent ne cessait de se retourner, de regarder en arrière, dans la direction du pick-up où se trouvait encore sa mère. Le garçon poussa soudainement les petits dans l’herbe. Le monstrueux camion venait de les croiser. Il savait pertinemment que quelque chose de terrible allait se produire. Le dernier regard qu’il avait eu de sa mère laissait maintenant flotter dans son esprit à la fois un sentiment d’une tristesse infinie et d’une passation de témoin.

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