dimanche 24 octobre 2010

Chapitre 4 page 15

ACCIDENT

Le chauffeur de l’énorme poids-lourd raccrocha le téléphone, embrassa la croix qui se balançait au rétroviseur et saisit le petit boîtier de télécommande sur la plage avant. Il hésita quelques secondes et appuya sur l’unique bouton de la commande à distance, sachant pertinemment que cela était un moindre mal pour lui et sa famille. S’il réchappait de ce qui, allait suivre, il se jura de ne plus jamais faire monter de femme sur le couchage de la cabine de son camion. Cette fois le prix avait été trop fort à payer. Beaucoup trop fort !
PAN !
Le camion se mit soudain à zigzaguer dangereusement. Le pneu avant droit venait d’éclater. Le chauffeur eut le mauvais réflexe de freiner trop fort, privant ainsi la gigantesque machine de toute direction. Le camion déjanta, fonça tout droit en direction du pick-up en traversant le terre plein central de l’autoroute sans ralentir le moins du monde malgré les efforts désespérés du chauffeur. Il percuta le vieux véhicule de « gnôle-man » à l’avant droit et continua sa route, écrasant littéralement dans sa course meurtrière, une voiture de sport, une familiale et un quatre-quatre. Il continua sa route, fracassant la barrière de sécurité et s’engouffra dans le sous-bois avant de s’encastrer dans un sapin. Le moteur toussota, rejetant un nuage de fumée noire puis s’arrêta de tourner.
La voiture où se trouvait sa mère commença, au moment de l’impact, à entamer une série de tours sur elle-même avant de basculer sur le côté. Des morceaux du vieux pick-up volèrent en tout sens pendant qu’il continuait sa glissade. Le garçon pu distinguer furtivement que la plus grande partie du capot, des ailes et de l’habitacle avaient disparu au moment ou la voiture traversa à son tour la séparation plantée d’herbe de l’autoroute. Perdant de la vitesse la vieille camionnette ou ce qu’il en restait fut percutée violemment par une berline de luxe noire et brillante dont le conducteur n’eut pas le temps de juger de sa folle trajectoire. Les restes de tôle glissaient dans une traînée d’étincelle sur le bitume avant de s’arrêter ou d’être percutés par d’autres véhicules comme sur un gigantesque tapis de billard. Un motard, au mauvais endroit au mauvais moment, s’envola en rencontrant une des portes du pick-up. Ce n’est que deux cents mètres plus loin que les diverses épaves fumantes s’arrêtèrent enfin. Le silence ne fut alors troublé que par quelques crissements de pneus provoqués par des conducteurs arrivant sur le lieu du carambolage et voulant éviter de se rajouter au carnage qui se présentait à leurs yeux.
C’était fini. Il n’y avait plus rien à voir. Le garçon laissa traîner encore quelques instants son regard, revoyant le sourire énigmatique de sa mère dans le rétroviseur alors qu’il sautait de la camionnette. Puis, comme elle lui avait appris depuis longtemps, il se re-concentra en se fixant un objectif précis : Les « frangins ». L’esprit à nouveau clair, il décida de ce qu’il fallait faire. Se tirer de cet endroit au plus vite.
Il saisit fermement chacun des deux enfants par la main et les entraîna rapidement de l’autre côté de l’autoroute vers le sous-bois et sa pénombre salvatrice.
Plus rien ne les retenait là. Il lui fallait mettre d’urgence une distance suffisante avec le lieu de l’accident où l’on avait pu les voir avant de pouvoir songer à l’avenir.
Avenir dont sa mère et les jumeaux ne faisaient plus partie vue les restes déchiquetés du pick-up. Des véhicules et les cris des premières personnes qui essayaient d’intervenir pour tenter de porter secours aux victimes de l’accident éparpillées sur une longue bande d’autoroute retentissaient. Toute circulation serait impossible pour un bon moment. Autant en profiter. Le garçon décida de traverser l’autoroute et, tenant toujours les gamins par la main, commença à marcher d’un bon pas sur la bande d’arrêt d’urgence
Ils étaient l’avenir. Sa mère et ses nombreux "tantes et oncles" qui avait eu l'occasion de rencontrer au hasard des nombreuses pérégrinations qui avaient ponctué sa jeune existence, n'avaient eu de cesse de le lui répéter. Mais surtout, il le ressentait violemment dans l'ensemble des cellules qui constituaient son être.
Ne pas se tromper pour eux trois relevait de sa responsabilité dès cet instant. Et il espérait que cela serait pour un long moment. Soudain, il fut écrasé par ce nouveau fardeau. Le doute l’envahi un instant avant qu’il ne déclare d’une voie faussement assurée :
-Allez, en route les « frangins » Tout droit, c’est toujours tout droit qu’il faut aller. Et la tête haute, non d'une petite souris! Tenta t il pour détendre l'étau qui lui oppressait le sternum plus que pour faire rire les enfants. Et n’oubliez pas ce qu’on a appris ensemble !

Ils partirent tous trois, aussi vite que les jambes des petits leur permettaient d’avancer, essayant de mettre le plus de distance possible avec le lieu du carnage routier qui bouleversait encore une fois cette satanée destinée.
Cet avenir trouble et incertain qu’il aurait à bâtir lui, le pré-pubert, orphelin qui devait disparaître au plus vite avec deux jeunes enfants. Et pour couronner le tout, il fallait échapper à un ennemi que la seule personne capable d’identifier venait de mourir.
- Maman, maman dans quels draps me suis-je fourrés !
Après quelques centaines de mètres, ils ralentirent l’allure. L’adolescent, laissant les deux enfants à leurs jeux, éclata en sanglots, pleurant enfin de longues minutes à chaudes larmes. Sa mère lui manquait déjà tant.

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