lundi 15 novembre 2010

chapitre 14, 2 pages

CHAPITRE XIV


Humphrey Solder parlait maintenant depuis plus de vingt minutes. Pour la plupart de ses employés qui l’écoutaient, c’était un déchirement. Il est vrai que la majorité d’entre eux travaillait pour Solder’s and Co depuis plus de vingt ans. Une bonne trentaine d’entre eux pouvaient même se targuer d’être au service de la société agroalimentaire depuis sa création en 1957. Ces employés de toujours ne voyaient pas le vieux monsieur au costume maintenant bien trop large. Ils gardaient en tête l’homme à la carrure de footballeur qui faisait se retourner la plupart des femmes. De cette force de la nature, capable de faire le travail de chacun d’eux, il ne restait plus que les énormes battoirs qu’il agitait encore et toujours avec fougue, comme à chaque fois qu’il faisait un discours.

L’entreprise, spécialisée dans la transformation de produits dérivés à base de maïs, avait vu son activité se développer régulièrement, insensible aux différentes crises économiques boursières, économiques et plus récemment au choc de la mondialisation. La société paraissait insensible aux gesticulations du monde extérieur.
L’immense majorité des employés de Solder’s and Co y voyait là l’émanation du génie de Monsieur « Hum » comme ils aimaient surnommer Monsieur Solder. C’est pourquoi ils étaient si inquiets de le voir chanceler et s’accrocher à son micro comme à un grappin avant un inévitable dévissage, debout sur sa petite estrade. Il paraissait malade, salement atteint, d’un cancer ou quelque chose d’aussi définitif si l’on en croyait les rumeurs courant des chaînes de fabrication aux bureaux des cadres.

- Il est temps pour moi de me retirer. Ces cinquante années à travailler avec vous auront été le plus grand bonheur de ma vie. Les plus anciens d’entre vous se souviennent des vieux hangars dans lesquels nous avons démarré. Regardez autour de vous ! Ces magnifiques bâtiments sont le fruit de notre travail. De notre travail à nous tous et vous pouvez en être fière. Il y a maintenant plus de trois mille personne sur ce site et je compte sur chacun de vous pour faire en sorte que ce nombre ne cesse d’augmenter.

Monsieur Solder s’arrêta de parler et se retourna vers son garde du corps. Les employés entendirent une quinte de toux grave et profonde qui souleva un murmure d’inquiétude. Après un moment qui leur parut une éternité, Il repris la parole sur un ton qui fleurait bon la pierre tombale.
- Ne vous en faites pas. La personne que j’ai choisit pour me remplacer n’est autre que Gustave Solder, mon propre fils. Si personne ne l’a encore vu ici, sachez que cela fait plus de dix ans qu’il dirige le conseil d’administration du groupe à Boston. Je souhaitais vous le présenter maintenant mais les nouvelles lois sur la sécurité aériennes lui ont fait rater son vol. Il arrivera donc en fin de journée. Mais il nous arrivera en toute sécurité par la grâce de notre vaillante police.
Monsieur Solder sourit à cette plaisanterie et arriva à détendre un peu l’atmosphère.

- Cela fait des mois que je lui parle de l’histoire de cette entreprise, de ce lieu et de vous tous. Du vice directeur, hein Georges ! Il prit par l’épaule l’homme qui se trouvait à sa gauche. Jusqu’à toi, Charlie, qu’il désigna d’une main tremblotante, dernier arrivé comme cariste, il vous connaît aussi bien que moi. Vous vous apercevrez à peine de mon absence tant mon fils est fier de pouvoir prendre les reines de la maison mère et fondatrice de notre société.

Il reprit son souffle avant de poursuivre :
- Je sais que « Hum » vous manquera. Vous me manquerez aussi. Mais très vite, je vous en fait le serment, vous ne pourrez plus vous passer de « Gus ».
Un petit rire poli parcouru l’auditoire, mais tous étaient inquiets de l’apparition soudaine de ce Gustave Solder dont ils n’avaient jamais entendu parler jusqu’à ces derniers jours. Jusqu’à ce que la rumeur ne se charge de répandre la nouvelle.
Quand les murmures cessèrent, Monsieur Solder repris, bien décidé à rassurer ses fidèles employés :
- Je resterai à ses côtés mais dans mon canapé où vous pourrez toujours me joindre par les soins de ma bonne Lucie, la secrétaire idéale, la seule femme à qui je suis resté fidèle depuis toujours et que j’emmène avec moi à la maison. Les présentations avec mon fils auront donc lieu en toute fin d’après midi. Nous aurons à cette occasion de… CRRR…PFFFT…CRRR. La sono se mit à émettre de nombreux et inquiétant grésillements. Toutes les personnes présente sur le parking, seul endroit assez vaste pour réunir tous les employés, levèrent la tête en direction de l’estrade. L’inquiétude se lisait sur l’ensemble des visages.
Monsieur Solder se redressa violemment, agrippa le micro devant lui, émit une suite de son caverneux et inintelligibles, pour finir par tournoyer sur lui même comme dans une danse de fin de soirée trop arrosée. Le micro toujours en main il s’affala de tout son poids sur le bitume du parking. Le son de la chute repris par le système de sonorisation, toujours en marche, fit hurler la moitié des personnes présentes. Les craquements que les employés entendirent leur firent dire plus tard aux journalistes qu’il avait du se rompre au moins la moitié des os du corps.

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