vendredi 19 novembre 2010

Chapitre 15, 2 pages

 CHAPITRE XV

ANUA SANS DESSUS DESSOUS



Il était huit heures mois dix et Anua se sentait proche de la crise de nerf. Elle marchait en tous sens dans son salon comme un chat tournant autour de son bol pendant que son maître ouvre le sac de croquettes.
Son cerveau, d’habitude si subtile, était incapable du moindre raisonnement. Sa concentration était entièrement tendue vers la petite pendule rococo que sa grand-mère lui avait offerte quant elle était encore une petite fille. L’angoissante pendule trônait sur le guéridon, à gauche de la porte d’entrée, entre le téléphone et une pile de livres qu’elle se jurait presque chaque jour de ranger. Anua regardait l’aiguille des minutes incapable de la lâcher des yeux au fur et à mesure qu’elle se rapprochait de l’heure fatidique.
- Encore neuf, neuf saloperies de minutes ! Lâcha t’elle sur le point d’exploser.
Ce petit manège durait maintenant un bon quart d’heure et menaçait de la rendre folle pour toujours.
Elle ne sentait même plus ses mains dont les ongles rongés jusqu’au sang ressemblaient plus à des petites saucisses, qu’aux outils si fins qui avaient permis à l’homme de se distinguer si vite des autres mammifères.
La sonnette retentit. Anua eut un sursaut et trébucha en se retournant vers la porte. Elle s’affala de tout son long sur l’épaisse moquette beige qui recouvrait le sol de son appartement. Un cri de douleur resta coincé dans la grosse boule qui lui bloquait la gorge depuis qu’elle savait son père en danger. Elle se redressa vivement, la douleur de sa cheville effacée par son cerveau et regarda une nouvelle fois l’heure, totalement obsédée. Elle retrouva un peu de lucidité et se rappela que son amie Billie devait également passer avant vingt heures.
Anua fixa la porte ne sachant quoi faire. Cela ne pouvaient être les ravisseurs de son père, ils s’étaient montrés jusqu’à présent beaucoup méticuleux pour arriver avec presque dix minutes d’avance. A moins qu’il ne s’agisse encore d’une manière, pour eux, de bien lui faire comprendre qui menait le jeu. Sinon, s’était Billie et il lui fallait très vite trouver un plan pour la faire déguerpir. Pas question de garder à la maison quelqu’un qui fourrait son nez partout comme sa meilleure amie !
Après un moment qui lui parut une éternité, Anua se souvint de l’œil de bœuf dont était dotée sa porte. Elle s’approcha sans bruit et regarda qui attendait sur le palier. C’était bien sa copine qui attendait de l’autre côté de la porte. Cherchant une idée qui puisse la décourager de rester, Anua ne remarqua pas l’air affolé du visage de Billie. Elle ne remarqua pas non plus la dizaine de clins d’œil qu’elle lui adressa sachant parfaitement qu’on était en train de l’observer par l’œilleton.

Anua se décida enfin d’ouvrir la porte. Elle fut immédiatement projetée en arrière prise au dépourvue par l’entrée fracassante de Billie qui avait été littéralement catapultée sur elle. Ce n’est qu’une fois au sol qu’Anua aperçut l’agresseur.
Sa copine, la bouche en sang à la suite du choc, gisait par terre à côté d’elle, à demi inconsciente. Reprenant ses esprits, Anua détailla, la vision encore brouillée par le choc, l’intrus qui se tenait dans l’encadrement de la porte. Elle remarqua instantanément sa stature imposante. Il devait bien dépasser le double mètre et était aussi large que la penderie de sa chambre. Du moins, vu du sol !
Pendant qu’elle se redressait péniblement, elle tenta de discerner les traits de l’homme qui avait fait irruption chez elle en se servant de sa meilleure amie comme d’une auto tamponneuse.
Elle ne put remarquer grand chose, l’agresseur portant un large sweater vert dont la capuche maintenait dans l’ombre la quasi totalité de son visage. Elle ne pouvait que distinguer les formes de ses lèvres charnues et  de son menton aussi carré qu’un « Rubik’s cube » géant.
Billie repris ses esprits, touchant son visage tuméfié tout en regardant si sa copine allait bien.
Les deux jeunes femmes s’étaient maintenant remise sur leurs pieds et reprenaient leur souffle, pliées en deux. Anua tentait d’enrayer le saignement de nez de Billie, à grand renfort de mouchoirs en papier. Par chance, la boite de « Kleenex » était toujours à sa place, au pied du canapé où Anua se morfondait encore sur son sort, il y a quelques heures à peine.

L’homme entra, ferma la porte et sortit d’une de ses poches un rouleau d’adhésif toilé. Avec calme et sans violence aucune, il fit asseoir les deux femmes les menant par le bras jusqu’au sofa. Une fois assises, il leur intima le silence d’un chut sonore, le doigt devant la bouche. Un peu comme un ordre gentiment donné à des enfants.
Aucune des deux amies ne protesta. Il leur attacha habilement les poignets et les chevilles et posa avec une grande délicatesse un morceau d’adhésif sur leurs bouches. Elles trônaient maintenant comme deux potiches sur le canapé. Toujours sans dire un mot, il se retourna vers la porte d’entrée, la referma et se mit à regarder par l’œilleton.
- Bon sang, mais qu’est-ce qu’il voulait ? Il ne pouvait faire partie des ravisseurs, sinon pourquoi cette attitude ? Songea Anua en fixant le géant qui restait muet et immobile, l’œil toujours rivé à l’œilleton.
Le grincement caractéristique des portes de l’ascenseur arriva jusqu’à leurs oreilles.
L’homme quitta sa position et vint se plaquer contre le mur juste à côté de la porte faisant de nouveau face aux deux amies. Il mit un de ses énormes doigts devant sa bouche, les priant une nouvelle fois de ne faire aucun bruit. Devant leur air incrédule, il leur chuchota d’une voix douce et grave :
- N’ayez aucune crainte, Je suis de votre côté ! Excusez mon entrée un peu en force !

Un peu en force ! Les deux femmes ficelées sur le canapé se regardèrent, comprenant qu’il valait mieux ne pas contrarier le « géant vert » tant que cette histoire de fou ne serait pas terminée. Anua se demandait toujours quelle était la part de responsabilité de l’homme dans l’enlèvement de son père. Que voulait-il dire quand il affirmait être de leur côté ?
La situation devenait ubuesque mais elle sentait au fond d’elle-même que cet homme, entré si violemment chez elle, blessant son amie, n’avait rien d’un assassin ou d’un kidnappeur.
Mais s’il n’avait rien à voir avec son père, qui attendait-il avec tant d’impatience ? Elle n'avait palé à personne de l'enlèvement de son père ! Elle était complètement perdue !

Alors qu’il finissait sa phrase, le "colosse capuché" sortit de la poche arrière de son jean un objet qu’Anua, dans son état normal, aurait reconnu instantanément. Un de ces fameux sceaux cylindre, visiblement récent mais ouvragé à l’ancienne. Il ressemblait fort à ceux qui lui avait valu récemment tant de déconvenues. Il l’ouvrit en pressant l’arrière du cylindre avec son auriculaire et sortit en un deuxième, entièrement chromé celui-là, comme s’il s’agissait de poupées gigognes. Un cylindre dans chaque main, le géant reprit sa position dos au mur, à un mètre environ de la porte d’entrée.

Des pas se firent entendre dans le couloir qui menait à l’appartement d’Anua. Ils s’arrêtèrent devant sa porte. La poignée de la porte commença à tourner imperceptiblement. La porte s’entrouvrit sans aucun bruit. Les deux amies confinées sur le sofa aperçurent l’esquisse d’une tête. Elles frissonnèrent comme deux sœurs siamoises quand elles croisèrent le regard de l’homme qui tentait à son tour de rentrer par effraction dans l’appartement.

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